Des jours sans et des jours pleins. A propos des progressions et de la violence
Biya, le 10/12/06
Des jours sans et des jours pleins. A propos des progressions et de la
violence.
C’est comme ca, il faut s’y faire. Plus au Nepal qu’en France. Et encore
plus a Biya que n’importe ou au Nepal. Il y a des jours avec et des jours
sans. Sans rien qui marche, rien de rien.
Exemple. L’autre jour, la journee n’avait meme pas encore eu le temps de
commencer que les desagrements s’empressaient de nous taquiner. 6h, Raju a
semble-t-il decide d’envoyer des sms, et surtout de passer un coup de fil.
Certes joviale cette discussion telephonique, mais bien matinale tout de meme. Bon,
ok, visiblement la seule chose a faire est de se lever. Se debarbouiller le
visage ? (pas a l’eau chaude, c’est un luxe au Nepal) Pas possible, pas de
flotte. Raju ou Budha ont ferme le systeme de pompage qui eleve l’arrivee d’eau
sur le toit ? Bah non, meme pas. Il n’y a plus d’eau dans la cuve, et plus
du tout d’arrivee d’eau. Ca arrive frequemment ici. On fera donc avec l’eau de
la «pompe- fontaine », cette pompe a eau inbuvable meme avec les
pastilles purifiantes. (Pour info, l’eau « potable apres pastille »
est revenue hier et repartie aujourd’hui)
On compte alors sur le dal-bhat pour se requinquer. Les taquineries se
poursuivent : les cuiseurs ont touche a leur fin. Le temps d’aller en
acheter d’autre, la cuisine a pris beaucoup de retard. Bon d’accord, on
patiente.
Debut d’apres midi. Coup de fil sur le portable de Raju (manager). C’est
l’atelier dans lequel Raju, Pradip et Akash sont en stage. Raju s’est blesse
avec une machine, il faut l’emmener a l’hopital. Effectivement, la derniere
phalange et l’ongle de son majeur de la main gauche ont ete presque arraches.
Il s’en tire avec 5 points de suture, un pansement a changer tous les jours,
des anti-inflammatoires et une grosse frayeur. Son stage reprendra plus tard...
Apres les formations, c’etait volley au programme. Contrairement a la
semaine passee, la douzaine de participants ne veut pas faire d’exercices. En
fait, elle veut pas faire grand chose, si ce n’est mettre des grands shoots
dans la balle ou alors se la lancer les uns sur les autres. Et rien ne sert de
crier, il faut calmer a point. Mon seul recours est mon adaptation car Raju est
en demarches a l’exterieur, Shyam en formation en Inde et Budha les tient encore
moins que moi. Alors vu qu’ils sont trop excites pour faire autre chose que se
defouler, et bien le but va etre de faire des « passes »... le plus
haut possible. Comme ca ils seront contents et faut bien qu’ils fassent le
geste de la passe – c’est le plus efficace pour balancer la balle le plus fort
et le plus haut. Ca tient la route 20 minutes et apres match. Ou « pseudo
match ». J’ai bien compris qu’ils ne veulent pas et ne peuvent pas
aujourd’hui faire autre chose que se chamailler, se marrer comme des baleines a
la moindre pecadille, etc, alors j’accepte, cadre juste pour que cela ne derape
pas et moi aussi fait le mariole avec la balle. Comme ca je me les mets dans la
poche pour plus tard en les laissant epuiser leurs envies de faire n’importe
quoi avec la balle pour que ca aille mieux demain. (Et ca ete beaucoup mieux).
En matiere de derapage, 1 ou 2h auparavant, il s’etait passe quelque chose
de lourd, tres lourd. Les desagrements ne sont plus taquins ni meme insolents
mais violents. J’etais en train de faire ma lessive a la pompe-fontaine avec
quelques enfants, les formations allaient bientot se terminer et l’ecole a
domicile des petits (voir plus bas) etait finie depuis quelques minutes. Kaila
et le petit Sunil dit Moussa (« souris » en nepali) voulaient aller
aux toilettes. Qui en premier ? Anodin comme question, non ? Pas pour
eux. Ils se bousculent. Moussa, qui pourrait en depit de sa tete toute mimi et
de sa bonne humeur indefectible aussi etre appele « langue de
vipere », commence a user de qualificatifs peu elogieux a propos de la
mere de Kaila. Kaila replique en frappant Moussa qui s’empresse de trouver un
cable electrique et de fouetter Kaila qui se met a courir apres Moussa, a
attraper une brique, de bloquer Moussa et de commencer a frapper sa tete a
coups de briques. Heureusement, Gilles et Budha interviennent avant le 2eme ou
3eme coup. Kaila est comme possede, il profere des torrents de paroles qu’on a
pas besoin de comprendre pour savoir qu’il s’agit d’insultes et de menaces.
Gilles le bloque, lui met la main sur la bouche et le porte a l’exterieur.
Apres plus de 15 minutes, il sera pret a donner (a peu pres) calmement sa
version des faits, qui avec celle de Moussa donne le deroulement ici resume.
Kaila est veritablement ne dans la rue, il n’a connu qu’elle. Ainsi il a du
faire la connaissance et devenir intime avec la violence de la survie, de
l’exclusion la plus terrible qu’il soit, avec la sauvagerie du mepris le plus
complet d’une societe entiere [voir Album « Des enfants toujours
dans la rue »]. Je n’ai pas a en divulguer plus sur lui ni sur
Moussa. Cela doit suffire pour comprendre ces impressionnantes doses de
violence qu’ils ont ingurgite. Elle est toujours la, quelque part au fond
d’eux, quelque part dans leurs chamailleries, dans leurs jeux de bagarres, dans
leur allergie a toute autorite. Mais elle a ete tellement diminuee par les
soins, l’attention, l’amour, les programmes d’APC. Elle est encore la, elle
peut eclater dans de telles proportions mais meme celles-ci ne sont rien par rapport
aux bagarres qu’ils avaient dans les rues.
Il est indispensable pour leur avenir de condamner ces comportements, de
leur montrer qu’il y a d’autres facon de regler les conflits. Bien sur. Mais il
est aussi incontournable de garder a l’esprit que la societe nepalaise est
malheureusement mais eminemment violente. Dans son systeme de castes, dans sa
pauvrete, sa misere, ses inegalites, ses injustices, son traitement des femmes,
des enfants, des questions politiques, j’en passe et des meilleures.
Toujours est-il qu’hier, lors de la reunion hebdomadaire, le staff, par
l’intermediaire de Raju puis Bhuwan, a trouve une bonne facon de soulever tout
le poids de ce probleme de violence. Tres calmement, sans mises a l’index trop
humiliantes, avec pertinence et fermete. Raju leur a pose la question de ce qui
se passerait s’il y avait un mort. Silence total (rarissime). Il leur a repondu
que Biya devrait alors fermer, qu’ils devraient retourner a la rue, que Herve,
qui fait tout pour eux depuis si longtemps, aurait a faire avec la justice voir
meme la prison, et que ce serait pareil pour eux. Bhuwan a pris le relais en
disant qu’on comprenait et tolerait leur agressivite, leurs chamailleries. Mais
qu’ils devaient se poser des questions sur la chance qui leur etait donnee. La
chance d’etre heberge, nourri dans une association ou nul ne leve la main sur
eux. La chance, contrairement a beaucoup de nepalais dont lui meme, d’avoir
matin et soir des lentilles a mettre dans le riz, ainsi que des legumes a
chaque fois differents. La chance de dormir seulement a 4 ou 5 par chambres
alors que presque partout ailleurs au Nepal une dizaine de personnes au bas mot
y dormirait. La chance d’avoir la tele avec autant de chaines, la chance
d’avoir une formation a un metier, de pouvoir faire des sports. Il leur a dit que
vu leur passe, leur situation, ils la
meritaient cette chance mais qu’ils devaient aussi faire en sorte de la saisir,
et au moins de ne pas la gacher.
Il y a egalement des jours avec. Ou des jours
plein. Plus exactement plein de bonnes choses, car tous les jours sont plein.
Pour commencer, une institutrice a enfin ete
trouvee et « l’ecole de Biya » a pu debuter lundi dernier [voir
Album « Educations »]. Chez les petits, seul Raju (bah
oui, y en 3 : le manager, le grand et celui-ci, le petit, grande gueule
ultra-sensible) continue d’aller a l’ecole publique, car celle-ci n’est pas du
tout adaptee aux difficultes et caracteres des autres, a savoir Nabin, Ajit,
Himal et Kaila. Quant a Moussa, il aurait pu continuer d’y aller, mais il a
peur de son professeur qui frappe souvent les eleves. Ainsi, cinq fois par
semaine, de 11h a 15h, Ajit, Nabin, Moussa, Himal et Kaila suivent les cours de
Mlle Laxmi Butwal. En presence de Raju, elle apprend progressivement a contenir
ces enfants et a adapter les methodes d’apprentissages ultra-traditionnelles a
leur esprit farouche. Ainsi, les pauses sont frequentes et les jeux sont
utilises afin de construire une relation de confiance et de proximite.
A partir de 9h30 – 10h (rappel : au Nepal les horaires sont aussi
instables que la situation politique), ce sont les grands en formation qui
peuvent suivre des cours. Le premier jour, les douze concernes etaient
presents. Vendredi, ils n’etaient plus que huit, mais au moins ces huit sont volontaires
et assidus, et pour eux la classe sera efficace. Quant aux autres, vu d’ou ils
viennent, c’est deja un enorme succes qu’ils apprennent un metier.
Les jeunes en stage sont
reguliers dans leur presence, plus que dans leur respect des horaires. La
menuiserie est satisfaite de Pradip et Raju mais trouve que Akash a encore des
difficultes pour bien saisir ce qui lui est demande. Le magasin-atelier
mecanique est lui tres content de Dinesh. Quant a Prabin, il etait alle en
stage de sa propre initiative et Bhuwan l’a vite repris en formation. Celle-ci
doit etre completee pendant une quinzaine de jours, puis il pourra tout comme
Rabi aller cette fois-ci reellement en stage. Il est egalement question que
Basanta les suivent un peu plus tard. En menuiserie, Sunil est presque pret a
lui aussi aller travailler dans un « workshop ».
Comme les photos le prouvent [voir Album « Educations »],
Bhuwan sait interesser les jeunes, les capter par de la pratique et leur donner
les quelques bases theoriques. La formation menuiserie marche egalement bien en
ce moment. Budha approfondit sa formation avec plaisir et devrait pouvoir
maintenir le fonctionnement et l’utilite de l’atelier le temps qu’un
professionnel puisse etre recrute. Sunil, Binod, Lalu et Bikram ont d’apres
Gilles passe un cap dans leur progression. Le fait d’avoir termine les etablis
les a emplis de fierte et permet des conditions de travail bien meilleures. De
cette facon, Gilles peut leur donner des travaux precis, adaptes a leur niveau,
ils peuvent travailler tranquillement et Gilles peut facilement suivre
l’evolution de leur travail. [Pour des infos plus precises sur la formation
menuiserie – et pour un point de vue complementaire sur Biya, rendez-vous sur
le blog de Gilles http://apcbiya.blogspot.com].
Un autre evenement a prouve l’attachement profond ou formel des jeunes a leur
formation. En effet, comme trop souvent, certains sont arrives avec une dizaine
de minutes de retard au commencement de la formation, le temps de fumer une
cigarette qu’ils auraient pu prendre avant. Et comme pour certains l’argent de
poche etait deja coupe en vertu de ces retards, Gilles et Bhuwan deciderent de
marquer le coup autrement : prive de formation pour ce jour avec interdiction
de rentrer dans Biya le temps de celle-ci. Et bien, ils ont reclame un bon
moment de rentrer et faire la formation, puis apres s’etre rendu compte que
leur insistance etait vaine, se sont bien ennuyes a l’exterieur. Malgre leur
fanfaronnades, ils ont ete plus ou moins vexes et depuis ils sont a l’heure.
Cela prouve donc qu’en depit de leur concentration et investissement pas
toujours eleves ils apprecient suivre une formation ; que ce soit parce
qu’ils sont reellement interesses au sujet, ou parce qu’ils apprecient faire
des choses d’adultes, ou les deux a la fois.
En sports egalement une
progression generale se dessine a travers les pics et gouffres de concentration
et de presences. Parfois, l’excitation atteint des extremites, leur turbulence
structurelle devient ouragan passager. Dans ces cas la, mes objectifs sont de
faire tenir certaines limites de base et de les faire se defouler le maximum.
D’autres fois, je parviens a faire des activites sportives de veritables
seances ou les jeunes voient l’interet et leurs capacites a suivre des regles
et a se concentrer. Et etant donne qu’avec ces regles et cette concentration
ils realisent forcement des gestes et actions meilleures que d’habitude, il est
possible de les valoriser et on passe de bons moments.
Afin de particper a leur structuration, j’ai mis
en fonctionnement un « programme hedbomadaire » des activites
sportives. Pour rester dans le juste milieu entre trop de regles et pas assez,
je sais que ce programme est en partie indicatif. Je propose volley deux jours d’affile puis
football. La premiere seance est censee contenir 45 minutes d’exercices et 30
minutes de matches. La seconde 20 minutes d’exercices et 1h de matchs. Les
jeunes doivent s’inscrire a au moins 2 de ces 4 seances sur le programme
affiche dans la salle commune.
Chaque matin de 8h- 8h30 a 9h – 9h30, pendant que le dal-bhat cuit, je fais
du foot avec eux dans la cour. C’est du 2 contre 2 sans gardien et avec une
brique comme cage, brique a renverser pour marquer, et a chaque but l’equipe
perdante sort. A ces moments la, on est plutot dans l’informel. Meme entre eux
ils respectent certaines regles mais pour d’autres c’est n’importe quoi et
surtout les plus grands se debrouillent pour jouer dans plusieurs doublettes ou
avant leur tour, et ce au detriment des petits. En plus, avec les aller et
venues a l’exterieur, cela devient vite la foire d’empoigne pour savoir a qui
est le tour. Alors je profite de ces 2 contre 2 pour poser quelques
cadres : si un jeune sort de Biya (c’est 9 fois sur 10 pour fumer), il ne
peut pas reprendre le jeu. Chaque joueur ne peut avoir qu’une equipe et je suis
le seul abilite a arbitrer. Cela se passe maintenanant tres bien. Pour dire,
certaines fois je ne vois pas tout car je dois eviter les tros grosses querelles
et autes chamailleries sur le bord. Et bien dans ces moments la, en cas de
litige, je demande aux joueurs ce qui s’est reellement passe et ils me disent
tout de suite la verite, ou alors tente de m’amadouer avec un tel sourire que
cela equivaut a une reconnaissance du repect de l’esprit des regles.
Deux fois par semaine, je propose des marches matinales. On en fait dans
les villages et la campagne alentours, aux jardins de Balaju et surtout au
Swayambunath car c’est ce que prefere les enfants [voir Album
« Marches matinales »]. De plus, avec Raju, on est en
train de negocier avec l’armee pour avoir un passe a l’annee pour la reserve de
Nagarjung. En effet, nous sommes au pied de cette « colline » de
2100m et de la foret qui la recouvre. Agrementee de nombreux camps militaires,
cette reserve reste tout de meme un tres bon endroit pour se balader au calme,
dans la nature et pour diversifier un peu les destinations des marches
matinales.
Dans 15 jours ou 3 semaines, je remplacerai le volley par le rugby car je
me sens presque capable de leur faire pratiquer ce sport de combat, en sachant
qu’ils ont d’importantes differences de gabarit et de non-negligeables
disposition a se battre. Je ferai de l’initiation, amenerai progressivement les
contacts et devrai pouvoir faire avec un groupe de jeunes vraiment interesses.
Nous verrons en temps et en heure.
Le football reste, et de tres loin, leur activite
favorite. Je m’adapte. Et nous avons trouve un moyen de tirer le meilleur de
cet interet. En effet, Herve m’a parle d’une association qui organisait des
entrainements et tournois pour enfants en difficulte, le « Garuda
Club ». J’ai donc pris contact avec son president et l’ai rencontre. Leur
but est de proposer a ces jeunes une insertion socioeconomique en devenant footballeur
professionnel. Aujourd’hui, trois joueurs de 1ere division et 5 de 2eme
division sont issus de ce club dont l’equipe senior joue en 3eme division.
Pour nous, les objectifs different. Il s’agit de stimuler la
resocialisation de nos enfants en les faisant se melanger a d’autres enfants,
en leur faisant suivre le cadre et les consignes d’entrainements longs de 2h.
La participation a ce club et peut etre au tournoi de fevrier est en quelque
sorte une etape, un des sas intermediaires vers l’insertion dans la
societe dans son ensemble. Un autre type d’objectif concerne la dimension
physique : les amener a prendre conscience de la necessite de prendre soin
de leur corps. Pour eux, courir pendant 2h, c’est dur. Alors cela peut
favoriser une transition vers une meilleure hygiene de vie, moins de cigarettes
et de majijuana, et s’eloigner definitivement de la colle. De plus, ces
entrainements du samedi et dimanche comporte d’autres avantages. Avec les
tenues que nous leur avons achete et confectionne a partir des maillots
apportes de France [voir Album « Garuda Club »],
nos jeunes sont tout fiers et tout heureux. Ainsi, cela participe a la
revalorisation de leur estime et a leur attachement aux differents programmes
d’APC. Ce dernier point est pour nous le but fondamental en ce qui concerne les
plus petits, pour l’instant Nabin, Ajit et Bikram et bientot Himal, Binod
« Vador » voir Kaila. Encore plus que pour Sunil, Rabi, Ramesh, Lalu
et Binod qui sont plus grands et plus anciens dans Biya, la participation a Garuda
est pour ces petits qui sont arrives il y a peu a Biya une bonne maniere de les
faire apprecier ce foyer et de leur donner l’envie d’y rester et d’y
progresser.
Alors, le samedi et dimanche, je leve ces 5 (la semaine derniere) puis 8
jeunes (hier et aujourd’hui) a 5h30. Nous prenons un petit dejeuner sur la
route, 2 « malpa » (sorte de beignets), 1 oeuf, 1 banane, 1 orange et
1 the. Puis nous prenons un micro-bus jusqu’a Kalinki a l’ouest de Kathmandou
(nous sommes au nord- nord ouest) et marchons 10 minutes pour atteindre le
terrain (un vrai terrain, avec de l’herbe et tout, si si je vous jure !)
prete par l’ecole Lincoln, ecole americaine comme l’indique son nom. De 7h a
9h, l’entrainement se deroule sous les ordres d’un coach, Pushpa Magar, qui semble
beaucoup apprecier les enfants, et parfois avec le concours de ces joueurs
devenus professionnels.
Desormais presque tous les enfants veulent y aller. En accord avec Herve,
nous allons suivre leur desir en achetant chaussures, chaussettes et short, et
en faisant raccourcir d’autres maillots apportes de France. Mais s’ils ne sont
pas reguliers, leur equipement sera repris, servira pour un autre et ils ne
feront pas parti de l’equipe qui participera au tournoi, si tout se passe bien
d’ici la... Cette equipe comprendra egalement des jeunes du foyer de Balkendra
qui viennent le samedi, accompagne par Bikesh. Quant a moi, je vais utiliser la
« mise en scene » de l’entrainement (mise en tenue, footing,
etirements, etc) et m’inspirer des exercices observes pour rendre plus
attractifs et constructifs mes propres seances. A ce propos, les jeunes se sont
plaints lors de la reunion de samedi de ne pouvoir s’entrainer au foot que 2
fois par semaine. Calmement mais fermement, je leur ai juste rappele que je
propose depuis 15 jours 2 seances et que c’est eux qui pendant ces seances ne
veulent pas courir pour s’echauffer ni faire des exercices. Je leur ai donc dit
qu’ils etaient un peu gonfles – par exemple Ramesh s’est beaucoup plaint alors
que cette semaine j’ai du beaucoup le pousser fortement pour qu’il participe
aux seances de foot dans lesquelles il n’a pas voulu faire d’exercices... Je
leur ai demande si on etait bien d’accord, s’ils voulaient vraiment faire ces
veritables entrainements et leur ai signifie que dans ce cas il fallait etre
regulier et concentre. A l’unanimite oui. J’en suis tres heureux. A suivre.
Comme vous pouvez le voir,
nos jeunes sont assez performants pour demander, reclamer. Etant donne qu’ils
n’ont rien eu aussi bien materiellement qu’affectivement pendant si longtemps,
cela est facilement comprehensible et le plus souvent legitime. Il est de ce
fait necessaire de repondre aux demandes pour leur prouver l’affection et la
confiance auxquelles ils ont droit. Dans le meme temps, ces reponses doivent
comporter le cadrage, la structuration, la socialisation indispensables a
leur eduaction tant ils sont refractaires a toute contrainte.
Il faut donc naviguer constamment entre le
« pas assez de regles » qui n’est pas constructif pour eux et le
« trop de regles » qui les fait fuir. Et pour ce genre de navigation en haute mer
educative, de randonnee sociale, j’ai besoin de ravitaillements.
Mes conditions de vie sont bonnes par rapport a la plus grande partie des
nepalais, mais bien differentes de nos habitudes francaises, et plus austeres.
C’est un plaisir de vivre au plus proche de la vie a la nepalaise (de
Kathmandou) [voir Album « Extraits de vie nepalaise »],
toute proportion gardee bien sur. Ces changements accompagnent et nourrissent
mes experiences educatives, humaines et culturelles. Cependant, ayant besoin de
beaucoup d’energie, j’utilise au mieux mon budget de 4 euros par jour. J’ai
meme reduit a 3 pour en avoir un poil plus pour pouvoir faire les treks et honorer
tous les Metres de Solidarite. Ce budget mensuel de 7500 roupies nepalaises est
largement au dessus de plus de la moitie des nepalais qui a des difficultes a
se procurer ne serait-ce qu’un repas par jour. Il ne me permet en tout cas pas de vivre comme un touriste-nabab,
loin de la. Toujours est-il que je fais en sorte de manger beaucoup de fruits
(par rapport au niveau de vie ils sont chers, pour un touriste c’est
rien : a peu pres 25 centimes d’euros le kilo de mandarines, le meme prix
pour la douzaine de bananes). Aussi, je complete les repas de Biya par un oeuf
tous les deux ou trois jours et surtout par une ou deux dizaines de
« momo », ces grosses ravioles garnies de legumes ou de viande. J’ai
trouve une echoppe ou ils sont succulents pas tres loin et ou je commence a
etre un habitue.
J’ai aussi besoin d’air, de calme. Le lundi est desormais mon jour de
repos. J’en ai profite pour aller dans cette reserve de Nagarjung [voir
Album « Sorties personnelles »] et aussi dans d’autres
villages agricoles de la campagne et ses collines au nord de Kathmandou. Pour
la reserve, j’ai eu la chance de pouvoir y rentrer seul. En effet, des camps
militaires y sont installes etant donne la valeur strategique de cette reserve,
et comme toute reserve, les acces sont limites. Le soldat m’a d’abord refuse
l’acces, m’expliquant les dangers de la jungle et me rappelant l’episode de la
francaise qui s’y est faite assassinee. Je lui reponds approximativement en
nepali que je suis un homme (je sais, c’est pas joli joli de profiter du
machisme d’une societe), que je connais bien les collines et forets, que je
suis benevole, que je vis a cote, que c’est mon seul jour de conge et que bien
entendu mes amis ont les leur le samedi (l’equivalent du dimanche). Il decide
d’appeler la hierarchie. Attente. Puis : « Vous etes tres
chanceux ». Parfait, je m’oxygene dans cette foret, sur ce chemin bien
raide au debut qui m’amenera au sommet ou trone le temple bouddhiste de
Jamacho. Les massifs des Annapurnas, du Ganesh Himal et du Langtang me ravivent de toute leur serenite et de
toute leur force.
Je cherche donc et
parviens pas trop mal a avoir la force et la lucidite suffisantes pour trouver
le meilleur chemin a travers ses hauts et ses bas. Pour voyager sur ce chemin,
pour apporter detente, affection, confiance, concentration et
socialisation. Pour accepter les
difficultes sans renoncer a les surpasser. Pour arreter de toujours vouloir etre plus utile, plus efficace.
Desapprendre a constamment se juger, a sans arret compter, mesurer ses
performances.
La demarche compte plus que l’efficacite immediate, le cheminement depasse
la productivite concrete, l’adaptation domine la performance. Etre calme,
simple, detendu, humble, patient. Etre sensible, capable de voir et savourer la
vie dans ses bourrasques comme dans ses brins d’air, dans ses cimes comme dans
ses vallees.